je ne parlerai pas du jus de la canne à sucre fraichement pressée
je ne parlerai pas non plus de la femme qui m’a lu mon avenir dans le marc de café
ni du pêcheur qui nous a emmenées sur sa barque, qui nous a montré la ville depuis le large
pas non plus de la grande bibliothèque où j’ai tant aimé me promener, celle avec la plus grande salle de lecture au monde
non
je ne parlerai pas de tout cela
c’est long à guérir d’une guerre
je ne savais pas
je le découvre à Sarajevo
nous sommes arrivés au bout de la terre habitée.
un 4x4 nous a menés là, nous a transportés dans sa remorque à ciel ouvert, le cul trampoling sur une planche de bois dur, les yeux sur la canopée, tout là-haut, le regard béat face à ces envols d’oiseaux exotiques.
certains s'installent ici comme si on ne les avait pas prévenus. Ils sont passés par là un été, c'était le mois d'août, il faisait beau, ils ont eu chaud, ont dormi dans la chambre blanche et climatisée d'une maison d'hôtes chic et ont pataugé dans une piscine de la taille de leur appartement parisien. Le Ventoux, c'était sûr, c'était le paradis sur terre
Les 24 et 25 novembre au soir, j’ai fait une performance à l’Institut du monde arabe (IMA) à Paris dans le cadre de la carte blanche à Oxmo Puccino.
La performance ?
Écrire des portraits imaginaires et instantanés du public à partir d’un ou plusieurs mots puis, sans le corriger, lire le portrait à voix haute et l’offrir.
En 7 à 8 heures sur 2 soirées, j’ai écrit 48 portraits pour environ 75 personnes, tous partis avec leurs destinataires.
Chacun de ces portraits a été écrit en cinq minutes à peu près. Sans relecture. Sans pensée. Et c’est cela que je voulais vous raconter…
Ça a l'air bien d'être belle
C'est bien vendu faut dire
Empaqueté marketé
Y a qu'à voir les princesses
(à la télé, sur grand écran, dans les livres pour enfants, sur les sacs à dos, les trousses et les agendas un jour-une page des CP-CE2)
Si elles marient le prince, les bergères, c'est bien parce qu'elles le sont, belles
Je les ai rencontrés face au mont Blanc, devant un refuge de haute montagne, en train de tirer sur les cordes d'un manche à vent orange. Sur la colline derrière nous, au-dessus des vaches et des chevaux, un tracteur rouge tournait carré dans un champ.
L'un portait des lunettes, un autre un petit sac à dos. Tous les trois étaient en t-shirts, shorts et casquettes alors que j'avais renfilé une polaire.
J'aurais voulu que l'on soit nombreux à flouer les contours de nos certitudes
A prendre la main de l'enfance
À croire en l'irréel
A passer le pas
Ils chuchotent
frisson de feuilles
frôlements du lierre sur le tronc du chêne
Arbres secrets, silencieux
On est mi-juillet et il fait douze degrés
C'est sûrement pour ça qu'on mange des raclettes en plein été
On a partagé avec nous des adresses secrètes de lieux où on va quand on est d'ici, des bistrots où on ne parle même plus tant la langue se régale, des magasins de produits si bons qu'il faut y aller à l'heure de la sieste pour être servi.e sans attendre des heures
Je n'ai pas voulu le toucher mais le livre m'appelle
La preuve, je ne vois que lui, ses couleurs pastel sur la tranche
La Mongolie
Le rêve de mes 15 ans
Sur la route
L'écriture avec soi
Comme seul bagage
Comme toutes les femmes, je suis touchée
Comme toutes les femmes, je lui suis reconnaissante
Comme toutes les femmes...
Ou presque
Car il y a un petit quelque chose en plus
Une pensée de raconteuse d'histoires
Une pensée d'autrice
Une autrice qui a basé l'époque de son roman sur le vote de sa loi
Dès les premiers rayons du soleil, les vrais, ceux qui chauffent, ça commence, mais il faut attendre la fin du mois de mai, voire celui de juin, le weekend de Pentecôte, le dernier prolongé, le dernier long avant les grandes vacances, pour qu'on y soit tout à fait: en kommounalka.
Gentille...
Comme un mantra
Un ordre déguisé en sérénade
Mais ça veut dire quoi à la fin, être gentille?
Oui, cet adjectif qu'on utilise quand on tente de raconter quelque chose de bien sur quelqu'un dont on n'a rien à dire, cet adjectif insipide et mou, dans le fond, il veut dire quoi?
Tout a commencé à Paris, dans un immeuble hausmannien coincé entre le Luxembourg et le Panthéon, à deux pas de la Sorbonne, au coeur du quartier germanopratin. J'avais 20 ans, je ne connaissais rien à la capitale, à la littérature, à la vie, bien plus à l'amour et aux voyages. Elle m'a tendu un livre: lis-le, elle a dit. C'était le Marin de Gibraltar.
Sois belle et tais-toi, qu'ils disaient
J'ai jamais tout à fait compris ce que ça voulait dire
Sois belle et tais-toi...
Une injonction double
Deux pour le prix d'une
Comme une lessive
Un truc qu'on vend à grand renfort de marketing mais qui marche pas
Qui laisse des taches même
EUX
les paupières en tombant ont effacé les images solaires
pour que les corps se replient mieux sur eux-mêmes
dans les draps suants, les muscles démêlés se reposent
seins détendus – verge détendue – dorment en silence
Elle est à un tournant de l'histoire
Autre chose à faire que d'attendre que ça passe que regarder par la fenêtre que d'observer dans le menu la rue les autres les décisions de petits au nom de pays
Faut bien aller bosser elle se dit