Pourquoi vous voulez aller là-bas? me demande l'homme sérieux derrière son comptoir, ses yeux noirs posés sur les miens, cherchant en dedans des réponses différentes de celles que ma bouche s'apprête à lui donner mais qu'elle conserve le temps d'une réflexion, comme prise de cours.
Oui, pourquoi au juste ai-je envie d'aller en Iran?
Elle habite entre Archway et Highgate, près du parc sauvage de Hampstead qui surplombe la ville, où l'on peut s'asseoir au pied d'un chêne ou d'un érable, être fouetté.e par le vent pas tendre de la région, les mains enfoncées dans les poches, la tête au besoin sous une capuche, et observer, l'air content et le corps transi, les pointes des buildings de la City sous la pluie.
Il ne faudrait pas s'attacher aux objets. Je le sais, et puis c'est bien connu.
La philisophie bouddhiste le prône, l'hindouiste aussi sûrement, la sagesse populaire le rappelle, même le bon sens.
Il ne faudrait pas s'attacher aux objets.
Mais est-ce si simple?
L'immeuble est imposant. L'entrée également. Pour prévenir. Pour menacer aussi sûrement. Le poids du savoir érigé en verre opaque, des miroirs (aux alouettes?) dans lesquels la ville se réverbère, dans lesquels nous nous réverbèrons tous.
C'est arrivé deux fois. La première à Thessalonique, la seconde à Téhéran. Ça a commencé dans le ventre, coeur des émotions, et puis ça a atteint la tête en remontant le corps comme une vague.
Je me suis installée sur le siège P24, vide, rouge. Comme dans un train, j'ai demandé qui était sur le O20, ma place ; comme dans un train, on m'a dit que je m'étais trompée de wagon. J'étais dans la mauvaise rangée, j'y suis restée.
on n'invente pas des noms comme ceux-là
trop longtemps qu'ils existent
mâchonnés par des gens qui n'avaient pas de lettres en main
que la terre en bottes séchées entre leurs doigts calleux
c’était un choix stupide comme on en fait à vingt ans
un choix sans songer aux conséquences, parce qu’on ne pense qu’à l’instant, à l’infini présent
un peu comme on fait l’amour sans préservatif, juste pour la beauté du geste
ou comme on mange du chocolat, jusqu’à en avoir mal au foie
tirer à la courte paille : conséquences inoffensives, conséquences offensives
La nuit, on entend les rats courir le plafond, leurs petites pattes gratter le toit
On resserre la moustiquaire, on la coince sous la paille autant qu'on peut - comme si la toile fine pouvait empêcher les rongeurs de s'approcher
On se réveille avec le jour, quand les rayons chauds entre dans le cube de béton
On se couche presque avec la nuit, le dîner s'étend parfois à la bougie
je ne parlerai pas du jus de la canne à sucre fraichement pressée
je ne parlerai pas non plus de la femme qui m’a lu mon avenir dans le marc de café
ni du pêcheur qui nous a emmenées sur sa barque, qui nous a montré la ville depuis le large
pas non plus de la grande bibliothèque où j’ai tant aimé me promener, celle avec la plus grande salle de lecture au monde
non
je ne parlerai pas de tout cela
c’est long à guérir d’une guerre
je ne savais pas
je le découvre à Sarajevo
nous sommes arrivés au bout de la terre habitée.
un 4x4 nous a menés là, nous a transportés dans sa remorque à ciel ouvert, le cul trampoling sur une planche de bois dur, les yeux sur la canopée, tout là-haut, le regard béat face à ces envols d’oiseaux exotiques.
certains s'installent ici comme si on ne les avait pas prévenus. Ils sont passés par là un été, c'était le mois d'août, il faisait beau, ils ont eu chaud, ont dormi dans la chambre blanche et climatisée d'une maison d'hôtes chic et ont pataugé dans une piscine de la taille de leur appartement parisien. Le Ventoux, c'était sûr, c'était le paradis sur terre
Les 24 et 25 novembre au soir, j’ai fait une performance à l’Institut du monde arabe (IMA) à Paris dans le cadre de la carte blanche à Oxmo Puccino.
La performance ?
Écrire des portraits imaginaires et instantanés du public à partir d’un ou plusieurs mots puis, sans le corriger, lire le portrait à voix haute et l’offrir.
En 7 à 8 heures sur 2 soirées, j’ai écrit 48 portraits pour environ 75 personnes, tous partis avec leurs destinataires.
Chacun de ces portraits a été écrit en cinq minutes à peu près. Sans relecture. Sans pensée. Et c’est cela que je voulais vous raconter…
Ça a l'air bien d'être belle
C'est bien vendu faut dire
Empaqueté marketé
Y a qu'à voir les princesses
(à la télé, sur grand écran, dans les livres pour enfants, sur les sacs à dos, les trousses et les agendas un jour-une page des CP-CE2)
Si elles marient le prince, les bergères, c'est bien parce qu'elles le sont, belles
Je les ai rencontrés face au mont Blanc, devant un refuge de haute montagne, en train de tirer sur les cordes d'un manche à vent orange. Sur la colline derrière nous, au-dessus des vaches et des chevaux, un tracteur rouge tournait carré dans un champ.
L'un portait des lunettes, un autre un petit sac à dos. Tous les trois étaient en t-shirts, shorts et casquettes alors que j'avais renfilé une polaire.
J'aurais voulu que l'on soit nombreux à flouer les contours de nos certitudes
A prendre la main de l'enfance
À croire en l'irréel
A passer le pas
Ils chuchotent
frisson de feuilles
frôlements du lierre sur le tronc du chêne
Arbres secrets, silencieux
On est mi-juillet et il fait douze degrés
C'est sûrement pour ça qu'on mange des raclettes en plein été
On a partagé avec nous des adresses secrètes de lieux où on va quand on est d'ici, des bistrots où on ne parle même plus tant la langue se régale, des magasins de produits si bons qu'il faut y aller à l'heure de la sieste pour être servi.e sans attendre des heures