À force de me perdre [Santorin]

[Carnet de voyage 22/52 de l'année - il forme un duo le texte n°23 de la semaine suivante]

J’ai la tête qui me tourne malgré les yeux fermés, l’estomac qui sautille de haut en bas, pas tout à fait à sa place, perdu dans mon ventre, et la nausée qui n’en finit plus.

Je n’aurais pas dû prendre le bateau rapide. J’avais cru ne pas être sensible au mal de mer mais c’était sans compter la vitesse, le bateau qui se jette dans les vagues, tombe dans leurs creux, décolle sur l’écume, s’effondre à nouveau. Ce n’est plus un bateau. C’est une montagne russe.

Quand j’arrive sur le quai, j’ai les jambes frêles comme le cœur, tout tremble. La foule s’éparpille entre bus et taxis. La place se vide sauf de la mer et je reprends mon souffle au soleil d’un café coincé contre le flanc de la falaise.

Après avoir monté le mur de roche dans un bus rampant, je rejoins Fira. La ville (ou est-ce un village ?) est blanche, une feuille sur laquelle tout reste à écrire. Les rues sont pleines de touristes heureux (comment ne pas être heureux quand on est inondé de soleil, qu’on a la mer dans les yeux, une ville blanche sous les pieds, des coupoles bleues pour nous rappeler qu’on est en pleine carte postale ?). Je joue à cache-cache dans les ruelles, m’égare à moi-même, retrouve une direction et la reperds aussitôt. Tout ce blanc tipex mon sens de l’orientation – et ça m’est complètement égal. Je ne cherche rien.

Mon dos est mouillé du sac à dos. Quinze kilos. Pour deux semaines. Et de l’eau. Et le sac de couchage. Et le matelas. Et la tente. C’est encore ce vieux sac à dos bleu. Mes épaules n’ont pas encore repris l’habitude. Quelques jours seulement que j’ai quitté Paris. Mais sur cette île, le poids des choses est plus léger. 

santorin claire musiol auteur

À force de me perdre, j’ai trouvé de petites pancartes délavées. Le chemin vers Oia commence après le quartier touristique, au bout d’une ruelle, après des courbes, des angles droits et des marches. Là je regarde en arrière et je découvre derrière moi la ville, en entier, blanche, toujours, couvrant le mur de roche, regardant la mer, face à face.

C’est ici que le chemin commence, là où la ville se termine.

claire musiol carnet voyage

Maintenant il n’y a plus de ruelle pour offrir de l’ombre, pas d’arbres, ou si peu, juste une terre sèche (et on n’est qu’en mai), une route étroite et ce chemin rempli de caillasses dont on ne voit pas la fin. 

Le sentier étroit longe la mer à plusieurs dizaines (centaines ?) de mètres au-dessus des vagues. La mer est partout. Mes chaussures de marche sont blanchies par cette terre brûlée. Le soleil est si présent qu’il s’est glissé sous ma peau. Une chaleur infiltrée, que la nuit ne suffit plus à calmer. Je croise parfois quelques chèvres en train de brouter une herbe rase. Il faut alors se pousser un peu, faire de la place pour les animaux. Le chemin continue sa danse de ses courbes et soudain la vue se dégage tout à fait. Là-bas : Oia. L’autre ville blanche. À la pointe de l’île. Le flambeau de Santorin. C’est là-bas que je vais. 

santorin musiol carnet voyage


 🌟Ce texte est inspiré d'un voyage à Santorin en mai 2014. Il s'inscrit dans le projet annuel "Carnet de voyage" : en 2018, je partage toutes les semaine un texte sur le thème du voyage sur ma page Facebook et le blog.

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