pas encore
[Egypte]


je ne parlerai pas du jus de la canne à sucre fraichement pressée
je ne parlerai pas non plus de la femme qui m’a lu mon avenir dans le marc de café
ni du pêcheur qui nous a emmenées sur sa barque, qui nous a montré la ville depuis le large
pas non plus de la grande bibliothèque où j’ai tant aimé me promener, celle avec la plus grande salle de lecture au monde

non
je ne parlerai pas de tout cela

ni des barbes à papa en sachets plastiques
ni des après-midis entre femmes, l’épilation au fil, tendu entre les dents
non plus de l’avion raté ou de l’épingle avec la fleur pour tenir le voile, celui obligatoire avant l’Iran
non
je n’en parlerai pas
pas encore
pas maintenant

peut-être parce qu’il me faudrait trop de pages pour raconter ces semaines-là
ou peut-être pour une autre mauvaise raison

je reviens toujours à cet appartement
petit
coincé au bout de la ville
là où elle se termine en terrain vague
(les villes ont toujours une fin, quelque part)
là où je joue avec les enfants
(moment d’éternité)
là où elle m’a donné ce collier de plastique rouge
(souvenir aussi flou et net que les autres)

dans cet immeuble du bout d’Alexandrie
on ne s’embarrasse de rien
sauf du qu’en-dira-t-on et des cheveux des femmes

mais pas des odeurs, de l’écologie, de la vue
ici
là où la ville se termine
là où il faut marcher longtemps sur la route nouvelle pour arriver
la poubelle est au pied du mur
(littéralement)
on jette tout par la fenêtre
(TOUT !)
puisqu’il n’y a plus de ville après la ville, puisqu’il n’y a rien que ce trou pour de futurs immeubles, un trou qu’on remplit de déchets

j’oscille entre la mer au cœur de la cité
et cette périphérie
je reviens sans cesse à cette fenêtre-là
sa vue
cet horizon ordurier
et tandis que je regarde
elle passe son bras devant mon visage
le sac plein tombe en bas
les enfants rient pour toujours dans le salon
les odeurs empuantissent l’air
heureusement qu’on est en hiver

tout est normal
Alexandrie grandit
sa population aussi

depuis le terrain vague, en périphérie de la ville, dans ce quartier dont je ne sais plus le nom

depuis le terrain vague, en périphérie de la ville, dans ce quartier dont je ne sais plus le nom

avec le collier rouge, la seule photo où on le voit -  quelque part, au bord de la baie d'Alexandrie

avec le collier rouge, la seule photo où on le voit -  quelque part, au bord de la baie d'Alexandrie


🌟Ce texte est inspiré d'un voyage en Egypte en décembre 2005
Il s'inscrit dans le projet annuel "Carnet de voyage" :
en 2018, je partage toutes les semaine un récit de voyage sur ma page Facebook, une semaine sur deux un ancien texte du blog, une semaine sur deux un nouveau

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